C’EST UN PASSAGE DE L’HIVER AU PRINTEMPS BIEN PARTICULIER, CELUI DE L’ANNÉE DERNIÈRE. DEUX MOIS PASSÉS À L’ÉTAT SAUVAGE SOUS LE SILENCE ET LA BRUTALITÉ D’UNE TROISIÈME VAGUE LIÉE À LA PANDÉMIE, ONT INSPIRÉ NAZANIN POUYANDEH, UNE ARTISTE IRANIENNE QUI CONNAISSAIT POURTANT BIEN LA CORSE MAIS QUI LA DÉCOUVRAIT DIFFÉREMMENT. ET LUI PERMET D’OFFRIR SES CRÉATIONS PICTURALES QUI AJOUTENT AU TALENT UN SUPPLÉMENT D’ÂME QUE PRODIGUE L’AUTHENTICITÉ.
Par Vanina Angelini-Buresi
Nazanin Pouyandeh expose, depuis un mois à la galerie Sator à Romainville, un travail réalisé lors d’une résidence à Casell’Arte A fabrica Culturale à Venacu dans le décor magique de l’hôtel des Caselle. Un décor qui l’a inspirée autrement. Nazanin vient pourtant en Corse depuis de nombreuses années. Travailler en résidence, c’est une expérience qu’elle a déjà vécue ailleurs comme en Afrique, au Bénin mais les conditions du confinement et l’ambiance naturelle du lieu lui auront permis de faire évoluer sa technique.
Si l’artiste native de Téhéran fait osciller un sentiment profond de liberté entre païen et religieux avec son pinceau, le lieu mythique des Caselle n’y est pas totalement étranger.
Quand Paul et Jean, propriétaires de cet endroit atypique, lui ont proposé de venir en résidence à Casell’Arte, ce fut pour elle à l’époque un moyen de s’échapper de son atelier parisien et surtout de cette nouvelle période d’enfermement profondément liée au confinement. « C’est bien tombé, c’est arrivé quand j’en avais besoin », confie-t-elle. Elle se promenait chaque jour dans les sentiers environnants, découvrait ce qui entourait les caselli, l’hôtel et la demeure de ses hôtes. « Cette nature m’appartenait d’une certaine manière, loin de toute civilisation, de tout bruit, cette montagne à l’horizon, le bruit de la rivière, loin de toute socialisation aussi car l’hôtel était fermé. J’avais besoin de cette oxygénation, de ce maquis et ça s’est ressenti dans mon travail. Cette invitation était comme un miracle je suis arrivée au paradis. »
L’île en partage
Depuis une quinzaine d’années, Nazanin visite la Corse durant les vacances et a séjourné dans de nombreuses régions. Mais cette fois le contexte était particulier, elle était face à cette nature environnante, nature qu’elle a placée d’ailleurs au cœur de sa série « Kallisté », « habituellement c’est l’humain qui est au centre de mon travail, c’est le sujet principal, alors que dans la série corse, la nature a pris autant de place que l’être humain ».
L’artiste peintre travaille toujours à partir de clichés qu’elle prend avec son appareil, c’est ainsi qu’elle a procédé durant deux mois à Venacu. Elle a réalisé un certain nombre de photographies, une fois rentrée à Paris elle les a perpétuées sur ses toiles. Cet environnement et cette ambiance en toile de fond elle les a reproduits à l’identique. Les feuilles, les arbres, le ciel, leur forme et leur couleur. Ces paysages, elle a l’habitude de les imaginer, de les inventer dans son atelier autour et derrière les personnes qu’elle met en scène « cette fois la nature est plus réaliste, je la peignais jusqu’ici de façon universelle, le traitement de cette nature, la lumière, l’atmosphère a énormément changé ma technique ».
Aux confins de la mythologie
Pour la première fois, Nazanin Pouyandeh dépeint les couleurs, les feuillages tels qu’elle les a vus et respirés dans les moindres détails « le travail qui a suivi cette résidence est le reflet de ce que j’ai vécu pendant deux mois en Corse ». En deux mois, on ne peut tout produire et s’en est suivi un an et demi de travail à Paris dans son atelier avec l’aide de ces photos et ses mises en scène réalisées depuis Venacu au début du printemps 2021. Tout ce qu’elle a rapporté dans son esprit et son cœur, ce dont elle s’est nourri à Casell’Arte, vibre encore en elle. « C’est un travail très détaillé que j’ai poursuivi après cette résidence, ce qui m’a fasciné, c’est l’état vierge du lieu, c’est assez violent, ce paysage que l’on n’a pas encore touché, c’est quelque chose de mythologique, de très puissant. » Ressenti très palpable quand on parcourt cette exposition.
Au nom de la cohérence
Cette façon de construire son travail diffère de ses précédentes expositions. Différent également dans la restitution des résidences passées. L’artiste expose depuis le 6 novembre dernier « Kallisté » composée d’une dizaine de toiles. « Je n’avais pas eu envie jusqu’ici de faire de série, pour moi chaque tableau était une expérience à part. Mais progressivement, cette série de peintures est apparue comme évidente car elle est finalement très cohérente. »
Encore une étape nouvelle dans sa façon de peindre. Si dans chaque toile est exprimé quelque chose d’unique, il y a un message particulier quand on les observe toutes et sont de fait liées entre elles. Il y a l’histoire contée à travers les différentes peintures et il y a l’histoire que l’exposition dans son ensemble, nous raconte. Observer, interpréter une œuvre, c’est s’émouvoir devant elle, la peintre n’a nul besoin de nous l’expliquer avec des mots pour nous en parler, elle le fait avec sa propre émotion, ses tripes et son pinceau, sa technique et son don.
Elle préfère, car ce n’est pas le but d’une toile « je sais expliquer mais le but d’une toile c’est d’évoquer, d’émouvoir, pas forcément de façon rationnelle avec des mots dans le langage courant ».
Civilisation et histoire
Des tableaux indépendants et si dépendants pourtant les uns des autres. Des tableaux qui nous évoquent ce territoire qui nous appartient, et qui un temps a appartenu à l’artiste. Si la nature sauvage est si bien reflétée, Nazanin y a exprimé une culture nourrie de rites et empreinte de tradition. La verdure du lieu est extraite et les pierres sont vivantes, celles qui sont là naturellement et celles que l’homme a posé et assemblé. C’est une civilisation et une histoire qu’elle a retranscrites à travers chacune de ces œuvres venacaises.
Les cérémonies dites étranges comme dans « L’Alliance » ou « Venaco » font écho à une culture oubliée et à la fois à de célèbres tableaux qu’elle a étudiés et dont elle est influencée de fait, « mon travail est basé sur l’héritage visuel, de ce que l’homme a déjà inventé, je me sers en permanence de l’histoire de l’art et de toute la banque d’images qui existe sans hiérarchie ».
Inventer sa voie tout en étant complètement influencée par toute l’histoire de l’image est naturel chez elle. « Ce n’est pas quelque chose de décidé, c’est juste le travail qui fait ça. Je décide juste de m’inspirer de l’histoire de l’art et de plein d’autres images et d’en faire autre chose. » Pari réussi par la talentueuse Nazanin Pouyandeh.
Artiste militante
L’inspiration personnelle transpire à travers l’ensemble de son œuvre. Elle entre en résonance avec son histoire qui est aussi un combat.
Après l’assassinat politique de son père, écrivain, traducteur, membre actif de l’Association des écrivains iraniens et défenseur des droits de l’homme, Nazanin arrive en France à l’âge de 18 ans. Durant sa courte vie, son père a milité pour l’égalité des sexes et a consacré tout son temps à traduire en persan depuis le français de nombreux articles sur le sujet. La traduction de la déclaration universelle des droits de l’homme en persan fut publiée une semaine après sa mort. Il était persuadé que le peuple iranien accèderait à sa liberté par la conscience, par l’évolution culturelle et sociale.
Petite, l’artiste peintre s’est imprégnée de la pensée révolutionnaire militante de son père, elle a rejeté très tôt le voile qu’elle était obligée de porter comme les autres petites filles pour lui couvrir la tête. Bien qu’exilée à Paris après l’exécution de son père, elle continue aujourd’hui à se battre à travers sa peinture. Elle refuse qu’on réduise son art à une peinture féminine parce qu’elle met très souvent en scène des femmes nues, alors que d’où elle vient elles sont voilées par force. Elle peint des femmes libres parce qu’elles doivent l’être, comme elle, elle l’est aujourd’hui. Et dans l’exposition réalisée dans l’atelier de A Fabrica Culturale, elles ne sont pas absentes, elles sont nues, dévêtues voire habillées comme le montre sa création L’étang de Diane. Sur ce tableau, comme dans d’autres de cette série, elle utilise une forme originale, elle met en scène. Plus que juxtaposées, les informations sont nombreuses, diverses mais toujours liées entre elles. Dans cet élan créateur, des peintures religieuses autour de rites païens, des références à la mythologie. Bref, un panel riche et varié qui touche le cœur er séduit l’esprit.
La voie de l’inspiration
D’aucuns décèleront des similitudes avec telles cultures anciennes qui ont su évoluer ici mais qui restent trop enracinées et archaïques dans son pays d’origine. Une cristallisation dont ne s’affranchit pas, bien au contraire, l’artiste Pouyandeh.
Culture qu’il faudrait moderniser en s’attachant à la condition de chacun et à sa liberté. Cultures à faire évoluer certes en prenant garde de ne trop les diluer. Savoir conserver valeur et identité. Doser, rejeter le nocif et conserver le positif. Savoir se libérer de ses chaînes comme Nazanin. Créer sa propre identité, sa couleur, sa différence en oubliant ce qui la nourrit malgré elle, ses références, ses influences, son vécu, ses études, tout ce qui a fait d’elle un être à part. La Corse d’aujourd’hui pourrait s’en inspirer pour savoir elle aussi se réinventer, se construire.
Un ringraziu à Paul Rognoni è à Jean-Emmanuel Pagni par stu locu magicu è puru, par Casell’Arte, A fabrica culturale, chì parmette à artisti di quì è d’altrò di travaglià in un locu guasgi sacru è di pudè inventà.
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