Juillet, août, peut-être précédés de juin et prolongés par septembre sont les mois de vacances. En France, c’est l’époque d’une quasi-suspension de l’économie voire de toute la société à l’exception des industries du tourisme et des quelques régions dont elles font l’activité principale.
Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse
À cette occasion, il est bon de saluer l’œuvre du Front populaire qui crée les congés payés. Ce fut une vraie révolution sociale car elle sortait de cette idée que la vie devait être vécue pour la gagner donc pour ne pas vivre. Depuis il est devenu possible de ne plus passer sa vie à la gagner.
Mais le temps des vacances, du temps nécessaire non seulement du repos mais de la respiration, ne devient-il pas aujourd’hui le modèle de toute vie sociale effaçant le travail comme valeur d’émancipation. Cette tendance a été marquée par la brève existence d’un ministère du temps libre pendant la présidence de François Mitterrand de 1981 à 1983. Son ministre dans le gouvernement Mauroy fut André Henry, instituteur, ancien secrétaire général de l’ancienne et puissante centrale syndicale qu’a été la Fédération de l’Éducation nationale avant d’être confiée pour ses derniers mois en 1983 à Edwige Avice, ministre de la Jeunesse et des Sports. L’expérience échoua car elle était liée à l’idée d’une réduction quasi illimitée du temps de travail.
En fait, ce très éphémère ministère mérite plus de considération et n’était absolument pas comme l’avait caricaturé Coluche celui du « temps perdu à fric fou ». Au contraire, son ministre André Henry n’opposait en rien temps libre et travail.
Lagrange en héritage
L’ancien instituteur, héritier de Léo Lagrange, père de l’éducation populaire, avait compris que le temps libre permettait au travail d’être émancipateur et non plus aliénant. Le temps libre rend au travail sa dignité, sa puissance libératrice et n’est en rien une généralisation des vacances devenues vacuité. L’alternance entre le travail construisant la société et le loisir permettant la liberté individuelle sont les deux temps de la liberté républicaine qui assure l’égalité et la fraternité. Tendre à réduire le temps de travail à presque rien c’est interdire la libération des contraintes et aliénations sociales, c’est donner le plein pouvoir à la puissance économique et financière. L’inverse, c’est-à-dire, ne pas laisser tout son temps au temps libre c’est condamner à un travail aliénant et forcé, c’est fermer les portes à toute culture, condition de tout progrès.
Le travail émancipe car il confère sa dignité à tout un chacun, le temps libre en retour donne au travail sa dignité car il en diminue la contrainte. Travailler c’est participer en citoyen à la société, pouvoir profiter du loisir c’est permettre que le travail soit une occupation de construction sociale et non une préoccupation obsessionnelle parce qu’obsédante quand il fait défaut. Pour reprendre une formule devenue célèbre, il ne s’agit pas de travailler plus pour gagner plus, mais travailler même plus pour vivre mieux donc pour avoir du temps libre.
Révolution monastique
L’instituteur André Henry le savait bien, lui dont l’École fut sa vie. « École » provient du latin « schola » qui signifie loisir. Eh oui, il faut un temps libre d’occupation pour étudier. La révolution monastique enlève au travail le sceau du châtiment du péché originel. Les moines parce que libérés des contraintes de la vie sociale prennent le temps libéré pour le travail tant manuel qu’intellectuel. On oublie trop cet effet de la naissance du monachisme cénobitique.
Il ne s’agit donc ni d’augmenter le temps de travail ni de le réduire mais de libérer le travail de son caractère aliénant car imposé. Il ne s’agit pas plus d’augmenter les jours de congé mais de libérer le temps d’élévation de soi-même. Pas de travail émancipateur sans vacances mais pas de vacances sans travail qui est le temps de travailler autrement. Dans une contemporanéité où le travail et l’effort apparaissent comme des valeurs déclinantes, il est nécessaire de rappeler que seul le travail libère le temps.
Mélancolie et ennui
N’oublions pas que c’est la pandémie et les confinements successifs qui sociologiquement ont fait perdre non seulement l’envie de travailler mais le goût de l’effort. Cette perte est le signe de la maladie mais de la maladie qui engendre la mélancolie et l’ennui.
Sans le travail, les vacances auraient leur signification de vacuité, de vide et le temps libre deviendrait l’écoulement d’un ennui mortifère.
Les commentaires sont fermés, mais trackbacks Et les pingbacks sont ouverts.