VENTES D’HÔTELS, L’ANTICHAMBRE DU MAL TOURISTIQUE
La vente d’un fleuron hôtelier, le Sofitel de Porticcio, alimente les conversations depuis quelques semaines. Un consortium d’entrepreneurs corses essayant de conclure la transaction à un prix estimé autour de 30 millions d’euros. Si cela a pu interpeller le commun des mortels, à vrai dire ce phénomène est connu des professionnels du tourisme depuis quelques années. Les transactions se multiplient. Elles se pratiquent discrètement dans un cercle restreint d’investisseurs, qu’ils soient corses ou venant de l’extérieur, que ce soit pour reprendre l’activité ou la transformer en promotion immobilière. Alors quelles en sont les causes?
Par Jean-André Miniconi
Tout d’abord, le secteur hôtelier fait face à une concurrence extrêmement vivace des plateformes des meublés de tourisme qui au fil des années a progressée jusqu’à représenter une capacité d’hébergement trois fois supérieure dans certaines villes. Ainsi à Ajaccio, en 2023, on dénombrait 4230 lits issus de la filière traditionnelle contre 12056 pour les meublés (+29% par rapport à 2019). Cette concurrence est bien organisée, s’adapte parfaitement à la demande avec une large gamme répartie sur tout le territoire. Les investisseurs sont nombreux et bénéficient d’un régime fiscal dérogatoire leur permettant d’afficher des rentabilités élevées. Elle a su profiter du développement du transport aérien low-cost qui a fait venir des nouveaux clients avec de nouvelles habitudes de consommation. À l’opposé, les hôteliers ont dû faire à une hausse quasi- généralisée de leurs charges: mise aux normes des chambres pour les personnes à mobilité réduite, augmentations des salaires, progression des commissions versées aux intermédiaires. À cela s’ajoutent des difficultés récurrentes et grandissantes pour trouver du personnel qui parfois empêchent les professionnels d’exploiter pleinement leur outil de travail tout au long de la saison. Ainsi, les hôteliers sont à la fois confrontés non seulement à une baisse des réservations dues à la concurrence des meublés mais également à l’effritement de leurs marges. La rentabilité n’étant plus au rendez-vous, les perspectives plutôt incertaines, il n’est pas étonnant que certains chefs d’entreprise décident de vendre leur outil de travail.EFFETS PERVERS
Quels sont les risques à laisser prospérer ce phénomène ? Il y en a deux essentiellement. Le premier est de voir diminuer la capacité hôtelière traditionnelle en laissant les investisseurs changer la destination de l’établissement acheté. Cela peut être une
transformation en résidence hôtelière ou même une promotion immobilière comme cela s’est fait dans un établissement ajaccien. Évidemment, cela ne fera qu’accentuer le déséquilibre entre l’offre des meublés de tourisme et celle de l’hôtellerie. Le deuxième est l’afflux de fonds d’investissements étrangers capable de réaliser d’importantes opérations qui échapperaient aux locaux. Inutile de dire que les bénéfices que tireraient ces investisseurs ne resteraient pas en Corse. On se retrouverait un peu dans la même situation que les achats de meublés de tourisme par des personnes ne résidant pas en Corse. Les Corses subiraient en même temps une dépossession immobilière et de leur outil de travail, sans compter la fuite
des dividendes hors de de l’île. Il sera difficile alors de bâtir une politique touristique efficace sans maîtrise du foncier. Que faire pour maîtriser le parc hôtelier et faire en sorte que les profits restent en Corse? La première chose à faire est bien entendu la régulation des meublés de tourisme, Cela se fait de partout dans le monde et il est inquiétant que nos politiques n’en aient pas perçu l’urgence. Les recettes générées par les meublés aux bénéfices des collectivités ne sont plus un argument entendable au regard des dégâts causés tant sur le plan sociologique, que sur le plan économique. Comment les collectivités peuvent-elles prétendre être au service de leurs concitoyens en laissant faire des choses pareilles?LE SOLEIL NE SUFFIT PAS
Il faut également, bâtir enfin, une politique touristique respectueuse de l’environnement avec une valeur ajoutée basée sur nos points forts: notre culture, notre terroir, notre histoire, notre nature. Nous n’avons aucune chance de progresser si l’on continue à ne vendre que la destination soleil, d’autres pays vendent la même chose en moins cher avec de meilleures prestations. Il faudra donc définir la cible de clientèle recherchée, plutôt CSP+, et aller la chercher. Pour ce faire l’offre aérienne est essentielle. Nous sommes en retard sur les investissements aéroportuaires et il faut avouer que la pérennisation des relations avec les compagnies low-costs n’est pas notre fort. EasyJet est en train de baisser son offre pour desservir notre île, et Volotea a demandé plusieurs fois, en vain, la création d’une base qui aurait permis de développer plus rapidement des lignes. Pour finir, il faut autant que faire se peut stabiliser le parc hôtelier et le faire monter en gamme. La création d’un fonds d’investissement corse pour aider les chefs d’entreprises à mettre leurs établissements au standard et promouvoir une offre attractive est un point essentiel. Ce fonds pourra aussi permettre à des investisseurs locaux de se positionner sur des ventes à venir et garder ainsi la maîtrise du foncier.POINT DE BASCULE
Comment on a pu en arriver là? À l’aune d’une saison qui ne s’annonce pas très bonne, c’est la question que je me pose régulièrement en écrivant sur le sujet. J’espère seulement que toutes les parties prenantes comprennent que nous sommes arrivés à un point de bascule. J’espère aussi que je n’aurai pas dans les années à venir à me poser une autre question. Mais pourquoi n’a-t-on rien fait?
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