VERS la DICTATURE 

Dans les démocraties, l’effet de ces objets particuliers que sont le regard et la voix, dans la psychologie des masses deviennent les moyens de conquête du pouvoir aux fins d’établir la dictature. 

Par Charles Marcellesi, médecin 

HITLER, DE LA PRÉCARITÉ À L’ARMÉE 

Hitler ne se comprend que par ses débuts dans l’âge adulte, qui furent difficiles, dans la continuité à vrai dire d’une enfance et d’une adolescence passées à Linz, marquées par l’échec scolaire, l’errance continuelle et les rixes avec les gamins de quartier; adolescent, il finit par se nouer d’amitié avec Auguste «Gustl» Kubizek, qu’il impressionne par l’effet de catharsis, de purgation par un émoi communicatif, des interminables diatribes dans lesquelles il se lance en hurlant et gesticulant, dans un style expressionniste qui masque le caractère sommaire du fond du discours, manichéen, entre proclamation des valeurs idéales nationalistes et la haine contre ceux supposés les menacer… Les deux amis se retrouveront à Vienne, où Hitler échoue à l’examen d’entrée de l’Académie des Beaux-Arts, ce qu’il n’avoue pas à Kubizek, et peu après il disparaît: c’est l’expérience de la précarité et de l’exclusion, le passage par l’asile de nuit de Meidling (1908-1910) en compagnie de vagabonds et d’aliénés. Il en resurgit lorsqu’il parvient à être hébergé dans un dortoir pour hommes (Meldemannstrasse), y vivotant de la reproduction aquarellisée de cartes postales et en haranguant les autres pensionnaires qui ne le prenaient pas très au sérieux… Il avait rejoint la Bavière lorsque survient alors en 1914, avec l’entrée en guerre de l’Allemagne, l’expérience décisive de son engagement immédiat dans l’armée bavaroise : cette intégration dans une masse «artificielle», « hautement organisée », comme dira Freud pour qualifier l’armée, dans laquelle une sorte de fonction paternelle de substitution est incarnée par un «meneur», le commandant en chef, avec ses avatars qui se retrouvent à tous les niveaux de la hiérarchie dans les personnes des officiers et sous-officiers, va réaliser pour Hitler un «sinthome» palliant un défaut de référence au père dans sa subjectivité, soit un mécanisme psychique qui puisse faire tenir ensemble les registres de la réalité. 

Hitler se révèlera, comme estafette, soldat efficace dont les services seront récompensés par l’obtention d’un grade de caporal. Les idées de gloire nationale, de patrie et autres assureront une structuration libidinale suffisante pour l’intégration dans cette « masse artificielle » au détriment par ailleurs de la recherche de buts sexuels et Hitler sera raillé par ses pairs pour sa continence; il conservera son goût pour les discours sur le mode du moulin à paroles. 

LA FORMATION DE L’HYPNOTISEUR
Il est blessé par une exposition à l’hypérite lorsque le front allemand s’effondre et que vient la défaite, l’abdication du Kaiser, la proclamation de la République et la signature de l’armistice le 11 novembre 1918, entraînant également une réaction de l’extrême gauche révolutionnaire et la forme de conseils, de modèle bolchévique, d’ouvriers et de soldats, à laquelle il semble avoir été tenté de participer jusqu’à ce que survienne une répression sanglante par l’armée. Hanté par le spectre de la démobilisation, Hitler s’engage dans une section de propagande « nationaliste et antibolchevique » au sein de l’armée et reçoit des cours de formation pour « instructeurs antibolchéviques » à l’université de Munich: là, il s’abreuve de ce qui lui sert de formation politique et intellectuelle aux cours de Goottfried Feder et y trouve auprès des autres étudiants un champ d’expérimentation pour son talent oratoire si particulier reposant selon les premiers observateurs avertis sur une transitivité et une étrange réversibilité des émois suscités par le maniement de slogans sommaires entre lui et son auditoire : la situation réalisée était celle d’un état hypnotique: si l’on suit Freud dans Psychologie des masses, l’hypnose occasionne un conflit d’instances psychiques : le réservoir d’énergie (libido) qu’est le moi s’appauvrit du fait de l’investissement d’une partie de l’énergie dans la personne de l’hypnotiseur, au profit de l’Idéal du moi (se conformer aux codes sociaux) ; l’hypnotiseur prend la place de l’Idéal du moi de chaque membre de la foule, et ceux-ci s’identifient ainsi les uns aux autres. C’est par l’ascendant qu’Hitler prit sur les foules qu’il fonda les groupes paramilitaires nazis, et conquis le pouvoir par les élections… 

LE CAS TRUMP 

Si dans la conquête du pouvoir il y a des points comparables entre Hitler et Poutine (siège de Saint-Pétersbourg où sa mère faillit mourir, expérience de la rue, passage par le KGB, maniement des circuits financiers), Trump, né dans un milieu de milliardaires et dans un pays prospère mais aux tendances isolationnistes tout en voulant conserver une suprématie au plan mondial, paraît un contre-exemple: ce serait ne pas tenir compte du formidable développement des outils de communication, l’omniprésence de l’image, avec l’alliance du regard, de la voix et d’un discours PERFORMATIF, pour lequel l’énoncé d’un fait (par exemple sur les questions d’identité sexuée) ou d’une action vaut sa réalisation et devient le style de la mégalomanie du leader. 

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