Pendant toute la dernière campagne présidentielle, le Président sortant finalement réélu fut accusé d’arrogance. Cette accusation fut reprise par tous les médias. Mais que veut-elle dire ?
Par Michel Barat, ancien recteur de l’Académie de Corse
Un regret de la volonté d’être un Président normal comme le proclamait François Hollande et d’une manière certaine à quoi il s’est attaché au point que certains crurent bon y voir un abaissement de la fonction présidentielle et au point de rendre publique ce qu’« un président ne devrait pas dire ». Il n’y a aucune raison de penser que François Hollande n’était pas sincère, il pensait, une fois président, rester un citoyen comme les autres. Il se trompait : la fonction présidentielle est anormale et le Président cesse d’être normal dès qu’il l’occupe.
Qu’il le veuille ou non sa raison n’est plus une raison ordinaire mais la raison d’État, raison qui ne peut éviter de choquer celle des citoyens normaux. C’est tellement vrai que l’actuel Président qu’on dit si arrogant quand il se laissait aller à des formules non contrôlées d’un langage spontané ou à des comportements familiers avec certaines populations, se voyait non sans pertinence accusé d’abaisser la fonction présidentielle. Arrogant, le Président est insupportable aux citoyens mais dès qu’il cesse de l’être, il perd la dignité présidentielle. En un mot, Jupiter est au sommet de l’Olympe et il est condamné à y rester pour en chuter. La vieille mythologie le savait bien : le chef suprême est aussi le bouc émissaire.
Certains se sont étonnés et parfois offusqués de la haine que pouvait susciter le Président, mais tous les Présidents ont suscité une telle haine : de Gaulle lui-même, le général libérateur et l’incarnation de la grandeur de la France ont subi des attentats visant à le tuer. Il n’y a pas de grande admiration sans grande haine, il n’y a pas de pouvoir assumé qui ne soit clivant.
Rite sacrificiel
L’arrogance n’est pas un accident du pouvoir, elle en est une épithète de nature. Notre république étant une monarchie élective provisoire, ses Présidents se doivent d’avoir la superbe des rois pour en être digne. Le pouvoir est bien une fonction séparée au point que détestés dans son exercice, les Présidents deviennent aimés ou regrettés dès qu’ils le quittent. Ils échappent à la guillotine ou au lynchage physique parce que leur fonction est provisoire. Là encore la vieille mythologie avait bien compris qu’en confiant le pouvoir et la puissance à quiconque on procède à un rite sacrificiel car tout pouvoir est nourri de la mort, celle de celui qui l’exerce et de ceux qui le subissent.
Heureusement dans un pays civilisé, dans une démocratie libérale, cette mort n’est plus que symbolique. Mais dans un système vraiment autoritaire voire totalitaire le symbole s’efface et le tragique de la réalité réapparaît : le dictateur tue et tue en masse et finit par périr comme, Kadhafi, sous les coups d’une violence inouïe. S’il est vrai que Vladimir Poutine a la crainte de finir comme le leader libyen c’est qu’il sait qu’il est tyran.
Le pouvoir est « hybris », arrogance, pensaient les Grecs et l’« hybris » est mortifère. Ainsi le politique mais aussi la politique sont de l’ordre du tragique car habitée par la mort. Elle n’est supportable que pour ceux dont l’arrogance s’accompagne de dérision et que pour ceux qui vraiment éduqués savent qu’elle est de l’ordre du mal nécessaire, mal que l’homme doit savoir tout autant assumer qu’affronter.
Séduction répulsion
Les héros nationaux, tels les grands hommes entrés au Panthéon sont finalement ceux qui ont su assumer le pouvoir et son idée tout en sachant qu’il est le mal nécessaire.
La patrie en fait n’est reconnaissante que pour ceux qu’elle a tant haïs parce qu’elle les a tant aimés de même que les saints ont autant souffert pour l’Église que par l’Église.
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